L'urgence de la violence sexuelle en Haïti : un crime silencieux, des séquelles durables
- sitewebodelpa
- 17 sept.
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Dernière mise à jour : 24 sept.

Dans une Haïti ravagée par l’insécurité croissante, les groupes armés utilisent désormais une arme silencieuse et brutale : le viol. Plus qu’un acte de domination, il devient un outil systématique de terreur, d’humiliation collective et de déplacement forcé. Cette pratique, utilisée comme mode opératoire des caïds, cible en particulier les femmes, les jeunes filles, et même des enfants. L’objectif est clair : soumettre les communautés par la peur, briser le tissu social et réduire au silence les voix les plus vulnérables. Face à un État défaillant et incapable d’assurer protection et justice, ce sont les organisations non-gouvernementales et celle de la société civile, telles qu’ODELPA, qui tentent de combler le vide, en apportant soutien psychosocial, accompagnement et plaidoyer pour les survivantes et leurs enfants.
Le viol comme stratégie de guerre
Dans les zones contrôlées par les gangs, les viols collectifs sont souvent utilisés pour punir une famille, un quartier, ou une résistance présumée. Les femmes mêmes les plus âgées et les filles sont enlevées, séquestrées, torturées sexuellement, souvent sous les yeux de leurs proches. Ces actes ne sont pas isolés : ils s’inscrivent dans une stratégie de domination territoriale et psychologique. Le viol devient ainsi une arme de guerre non reconnue mais redoutablement efficace. Le recours au viol comme arme de guerre n’est pas un phénomène propre à Haïti. Dans d’autres contextes, comme au Rwanda en 1994, en République Démocratique du Congo ou en Bosnie-Herzégovine, il a été utilisé comme stratégie de domination et de destruction des communautés. Ces exemples montrent que le viol, lorsqu’il est systématique et organisé, constitue non seulement un crime contre l’humanité, mais aussi un outil redoutable de guerre psychologique et sociale.
« Mwen te al pran kèk bagay lakay mwen solino paske lèm te kouri a mwen pa te gentan pran anyen. Lèm rantre nan kay la 2 mesye ak zam dim granmoun kanpe la. Yo rale zam sou mwen yo banm kalot yo chire rad sou mwen epi fè kadechak sou mwen. Epi yap ri yo di yon vye granmoun ou ye, se peye pou w te peye nou pou nou te fè sa pou ou. »
- Elsie 63 ans
« Yo antre lakay mwen ak zam epi yo vyole m devan je pitit mwen yo. Depi jou sa a, li lè sa li pa vle jwe ankò li toujou tris»
- Marie, 38 ans

Des survivantes brisées, mais invisibles
En 3 mois, 180 survivantes ont été reçues par le bureau psychosocial de l’ODELPA, dont 58 ont entamé un suivi thérapeutique (Base de données de ODELPA, Juillet 2025). Ce chiffre, déjà alarmant, n’est qu’une fraction descrée cas réels, tant le silence, la honte, la peur des représailles et l’absence de structures de protection empêchent les femmes de dénoncer les violences subies.
Les séquelles psychologiques sont multiples : états de stress post-traumatique, dépression sévère, perte d’estime de soi, troubles de l’attachement, dissociation, idées suicidaires. Nombreuses sont celles qui doivent survivre avec le souvenir du viol, tout en portant la responsabilité de plusieurs enfants, dans une misère économique absolue. Beaucoup de mères racontent qu’elles ont été brutalisées puis violées en présence de leurs enfants/adoslecent-es.
0 Site de prise en charge psychosociale creé ou subventionné par l’Etat
0 structure d’hébergement spécialisé disponible pour les mineures.
Les enfants, de véritables victimes
Plus de 500 enfants nés de mères survivantes de viol vivent dans une misère extrême (soit en moyenne trois enfants par mère). Beaucoup d’entre eux ont vu de leurs propres yeux leur mère agressée, leur père assassiné, et leur famille disloquée. Même si ces blessures ne se voient pas, elles marquent profondément leur cœur et leur esprit.
Ils souffrent de graves problèmes : certains ne parlent plus, d’autres font des cauchemars, vivent dans une peur constante, deviennent agressifs ou de comportements régressifs. Leur croissance psychologique est brisée, ce qui met en danger l’avenir non seulement de ces enfants, mais aussi de toute une génération.
À ce drame s’ajoute une tragédie silencieuse : ces enfants, faute de moyens financiers, risquent de ne pas accéder à l’école cette année. La déscolarisation les expose directement à la menace d’enrôlement par les gangs armés.
Face à cette situation, l’initiative engagée constitue une action préventive et protectrice essentielle. Elle vise non seulement à assurer la scolarisation de ces enfants, mais aussi à l’appui psychosocial des mères survivantes.

Un impact social profond
La violence sexuelle n’est pas seulement un drame individuel. Elle détruit les familles, disloque les communautés, alimente les cycles de vengeance et de peur. À mesure que les victimes se replient sur elles-mêmes, que les témoins se taisent, et que les bourreaux restent impunis, c’est le tissu moral et psychologique de la nation qui s’effondre.
Le MSPP, le MCFDF et la PNH doivent renforcer leur réponse conjointe, avec l’appui des bailleurs et des ONG locales.
Que faire ?
Il est urgent d’agir à tous les niveaux :
• Briser le silence : La société doit protéger les victimes, pas les stigmatiser. Parler du viol ne doit plus être un tabou.
• Informer la population sur les premiers gestes: Une personne victime de viol doit se rendre dans un centre de sante avant 3 jours (72H). Faute d’information 69,4% des survivantes reçues ont mis des plus que 3 jours, des semaines, voire des mois avant de trouver les soins. Parfois, sentiment de culpabilité ou fautes d’informations, manque de structures d’accueil post viol disponible sont entre autres raison pouvant entraver la demande d’aide.
• Renforcer les services psychosociaux : Les survivantes ont besoin de soins médicaux, de thérapie, mais aussi de logements sûrs et d’un soutien économique.
• Sanctionner les auteurs : L’État haïtien doit garantir la poursuite judiciaire des auteurs de ces crimes, quelle que soit leur appartenance.
• Former et coordonner les acteurs : Les institutions publiques, les ONG et les leaders communautaires doivent unir leurs forces dans une approche intégrée.
• Protéger les enfants : accompagner psychologiquement les enfants victimes ou témoins.
Face à cette crise humanitaire et sécuritaire, le viol n’est pas un dommage collatéral : c’est une arme de destruction. Chaque survivante non prise en charge, chaque enfant traumatisé, chaque quartier terrorisé représente une blessure ouverte dans le corps social haïtien.
Nous ne pouvons plus détourner le regard. Il est temps de répondre avec humanité, justice et engagement à ce fléau silencieux. Car protéger les survivantes, c’est reconstruire Haïti.
Robens Doly, Psychologue











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