La revanche d'Ervly Cangé, atteinte d'albinisme

L'albinisme se définit comme une maladie héréditaire qui affecte la pigmentation chez les êtres humains et d'autres espèces. Elle se caractérise par une insuffisance ou une absence de production de mélanine, un pigment biologique responsable de la coloration de la peau, des cheveux, des poils et de l'iris. Au sein de la société haïtienne, les personnes atteintes de cette pathologie, " les albinos ", sont victimes de violence verbale avec des stéréotypes, la discrimination et la stigmatisation qu'elles vivent dans leur famille, à l'église, au travail et même à l'école.
Ervly Cangé, 33 ans, atteinte d'albinisme, avoue avoir connu l'enfer notamment en milieu scolaire où les attaques verbales ont été fréquentes dans sa vie quotidienne. " Au sein de ma famille, je n'ai connu aucune forme de violence, on me considère comme une personne à part entière. D'ailleurs, mon père me le rappelle souvent. Toutefois, dans ma vie académique, le tableau s'est présenté autrement. Je faisais toujours l'objet de moqueries de la part des élèves et pour en échapper, l'isolement était mon seul
refuge ", raconte cette femme.
Ervly a grandi au bicentenaire, (quartier ouest de Port-au-Prince). Elle n'a jamais eu de camarade de classe dans les différents établissements scolaires qu'elle a fréquentés. Vulnérable, elle a longtemps vécu sous les ailes de son père. C'est son paternel qui s'était toujours assuré chaque matin de la conduire à l'école et d'aller la chercher en début d'après-midi. Une façon de la protéger des propos blessants ; même en pleine rue.
Bien des années plus tard, une voile de tristesse enrobe la voie d'Ervly : " J'ai aussi été victime d'un professeur. Dès mon arrivée, il m'a demandé de prendre place au fond de la classe. Un ordre que j'ai exécuté puisque je n'avais pas assez de courage pour le contester, mais dans mon for intérieur, je souffrais énormément. Le professeur me prenait pour une élève médiocre. Etant assise à l'arrière, il m'était impossible de lire les notes au tableau. À l'oral, je pouvais répondre à toutes les questions mais à l'écrit c'était le contraire. “
Une telle attitude de la part d'un enseignant chargé de transmettre des connaissances, de former les jeunes cerveaux, a causé de profonds bouleversement au cœur de l'être de la petite écolière. Elle a galéré durant l'année scolaire. Elle redoublé la classe.
La grande décision d'Ervly
L'année suivante, Ervly a pris la décision de se présenter en salle de classe dès la rentrée scolaire. Elle occupera le premier rang, elle lira sans problème tout ce qui est écrit sur le tableau vert. Sa décision portera fruit. Des étoiles ont brillé et orné les pages de son carnet. Pour les examens de contrôle de fin d'année, elle sera dispensée. Le directeur de l'établissement jugera que la lauréate des deux premiers trimestres avec une moyenne aussi élevée n'avait pas à subir d'autres examens. C'était une fierté pour elle de passer ainsi en classe supérieure.
Les stigmates de l'albinisme

Pourtant, après ses études secondaires, Ervly ne s'est pas vraiment tirée d'affaires. Les stigmates de l'albinisme pesaient encore sur ses épaules. Elle qui avait toujours caressé le rêve de devenir hôtelière, n'arrivait pas à trouver facilement une école professionnelle. Elle se souvient de cet épisode marquant de sa vie : " Je me suis rendue à quatre centres
professionnels avant que l'un d'entre eux m'accepte. Je suis allée dans une école hôtelière en compagnie d'une amie, parce qu'elle voulait aussi se faire inscrire. En arrivant là-bas, la secrétaire m'a dit catégoriquement que je ne pourrai pas effectuer une telle étude alors pourquoi m'inscrire ? J'ai beaucoup pleuré. “
Les refus se sont multipliés sur sa route. Ervly, toujours motivée, a fin par réaliser son rêve. Elle a pu, enfin, trouver une école pour devenir hôtelière. Comme à l'école classique, elle a puisé dans ses ressources intellectuelles pour donner le meilleur d'elle-même. Elle a fini par soulever l'admiration de ses enseignants. Aujourd'hui, Evrly est une
professionnelle en hôtellerie.
Pour pallier les difficultés auxquelles font face ses pairs dans les différentes sphères de la vie, la jeune femme a pris l'initiative, de concert avec d'autres personnes vivant avec ce déficit pigmentaire, de créer le Regroupement et sensibilisation pour le bien être des albinos en Haïti (RESBAH). Selon Evrly, cette structure vise à lutter contre la stigmatisation et la discrimination à l'égard des albinos. Aujourd'hui, la secrétaire de cette organisation affirme avoir un moral d'acier. Les moqueries, les injures, les stéréotypes ne peuvent plus l'atteindre et constitue le passé. Aujourd'hui, elle est une leader, une conseillère et une porte-parole pour les albinos haïtiens.
Esperancia Jean Noel
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