Coup de projecteur sur la vie bouleversante de Darline, une déplacée de la commune de carrefour-feuilles
- sitewebodelpa
- 25 juil.
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Depuis quelques années, Haïti fait face à une crise sociopolitique sans précédente, marquée particulièrement par la violence des groupes armés. Chaque jour, le bilan des victimes s'alourdit dramatiquement. Dans ce chaos, les femmes et les filles sont les plus exposées, prises au piège dans ce fléau qui déchire le pays. Selon un rapport publié par le sous cluster VBG Haïti, en partenariat avec le Ministère à la condition féminine et aux droits des femmes (MCFDF), 3 804 incidents de VBG ont été rapportés, allant de janvier à mai 2025. Parmi ces cas, 77% sont des femmes adultes et 6% des filles de moins de 18 ans. 49% d’entre elles ont été violées. 53% sont des viols collectifs dont la majorité est recensée dans le département de l’Ouest. À la suite de ces cruautés, la vie de ces survivantes connait un tournant poignant.
Darline, 48 ans, est une fière fille de la commune de carrefour-feuilles. Comme plusieurs générations de sa famille, elle a habité la zone depuis sa naissance jusqu’au dernier assaut des gangs. En un cillement de regards, elle a tout perdu. Aujourd’hui, elle est séparée de sa famille et de ses trois filles. Vêtue d’un jeans bleu et d’un t-shirt à fleur, Darline marche à pas de tortue. Dépassée par les évènements, elle se rend à l’organisation de Développement et de lutte contre la Pauvreté (ODELPA), à Delmas, pour un appui psychosocial. Elle raconte son histoire : « Les bandits m’ont tout pris : la vie de mes proches, ma maison, mon business, ma dignité et j’en passe. Il ne me reste plus rien. Tous mes efforts sont réduits à néant ».
En dépit des différents tumultes de la zone, Darline n’aurait jamais pu imaginer qu’un jour qu’elle serait vraiment chassée de carrefour-feuilles. Après des années de résistance acharnée, cette battante a finalement dû s'avouer vaincue : fuir sans aucune destination. Une décision qui a précipité sa vie dans un nouveau gouffre. « Durant mon escapade, malheureusement j'ai été violée. Cette atrocité m'a changée à jamais. Je ne suis plus la même. Ma santé mentale est grandement affectée, une situation qui a des répercussions sur ma santé physique », confie-t-elle avec des yeux larmoyants.
Dès l'horreur passée, Darline, infirmière avertie, s'est immédiatement rendue dans un centre hospitalier pour effectuer les suivis médicaux adéquats, afin d’éviter toutes maladies ou infections sexuellement transmissibles.
Une vie volée en éclat
Cette crise insécuritaire ne se limite pas à perturber le quotidien de la population ; elle détruit aussi leur avenir en emportant les fruits de travail de longue haleine. La professionnelle de la santé, possédait à Carrefour-Feuilles une pharmacie bien équipée, où elle vendait des médicaments à des prix raisonnables. Un matin, elle a fait l’acquisition de plus de cent-cinquante mille gourdes de marchandises. Dans l’après-midi même, elle s’est faite dépouillée. Aujourd’hui, cette femme qui menait une vie pleinement épanouie ne peut même pas se nourrir. Elle vagabonde dans les rues, les mains vides, avec l’espoir de trouver un morceau de pain.
« Je ne suis pas habituée à vivre dans cette misère aussi accrue. J’ai fait l’essentiel pour avoir une vie décente. J’ai beaucoup lutté afin de vivre dignement et d’offrir une éducation de qualité à mes enfants. Chacun d’entre eux loge sous un toit différent, loin de leur mère. Et moi qui dors sur la galerie d’une simple connaissance à Juvénat », explique l’étudiante en droit et en comptabilité.

Ne trouvant plus de mots pour mettre sur son vécu, Darline passe plus de 2 minutes à pleurer tout en secouant la tête. « À chaque instant, j'entends encore résonner les tirs des gangs. Ces moments sombres me hantent. Je revis le viol, alors qu'avant ce drame, j'avais fait le choix de ne partager ma vie et mon corps avec personne. Ils m'ont violée ». La militante féministe émit, un soupir après chaque mot. Celle qui, hier encore, luttait pour les droits des femmes, est aujourd'hui une victime de l'horreur qu'elle combattait. Le paradoxe est cruel : son combat, ses idéaux, tout semble s'être effondré sous le poids de ce même fléau.
Professionnelle de son état, la mère célibataire circule avec une valise marron contenant toutes ses pièces (diplômes, certificats, pour ne citer que ceux-là). Son vœu le plus cher c’est de décrocher un travail afin de retrouver sa vie d’avant ; de pouvoir répondre aux besoins de ses filles. Darline comme tout le peuple réclame à cor et à cri la sécurité, la sécurité, encore et toujours la sécurité.
Hier c’étaient les femmes de Martissant et de Carrefour. Aujourd’hui, celles de l’Artibonite, de Carrefour-feuilles, Delmas 30, du Centre-ville, de Kenscoff et autres. Demain, qui seront les prochaines victimes ? Chaque jour, un nouveau quartier tombe sous la brutalité des groupes armés. Alors que des vies s’éteignent, des biens sont détruits, des rêves se brisent, des innocences sont volées, la puissance publique se contente d’adresser des mots de sympathies et des promesses vides. Jusqu’à quand les femmes pourront-elles circuler en toute quiétude ? Quand est-ce que le respect de leur droit ne sera plus une utopie ?
Darline : nom d’emprunt
Esperancia Jean Noel











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